Super eight stories

De Emir Kusturica
Allemagne, Italie, Yougoslavie - 2001 - vost - 90' - Noir et Blanc - 35mm
Synopsis

En 1999, le groupe Emir Kusturica and the No Smoking Orchestra partait en tournée dans toute l'Europe. Le réalisateur serbe en a profité pour embarquer ses caméras 8mm et numérique et filmer le groupe en coulisses et sur la route.

Critique

Emir Kusturica revient par la petite porte avec un rockumentaire déjanté mais à l’anarchie raisonnée, dans la lignée de ses œuvres de fiction.

Officiellement, c'est un compte rendu en images de la tournée du No Smoking Orchestra, groupe de rock balkanique à géométrie variable dans lequel Kusturica officie à ses heures perdues. En fait, c'est une macédoine furieuse et agitée, filmée en super-8 et en DV, qui ne ressemble à rien de connu, sauf au Year of the Horse de Jarmusch sur Neil Young et son mythique Crazy Horse. Musicalement, No Smoking, dont Kusturica est un discret guitariste rythmique, et son fils (du moins on le suppose) Stribor, le batteur, est un mélange improbable entre punk, tradition tzigane, hard rock, valse viennoise, etc., estampillé "musique unza unza". Bref, un foutoir énergétique et euphorisant qui, comme les films de Kustu, est une antithèse idéale du classicisme et du bon goût occidental.

A côté de ce méli-mélo au montage trituré, mixant, en couleurs et en noir et blanc, des films de famille amateurs, des interviews déconnantes des membres du groupe, des images de concert et un making-of d'un tournage de clip du No Smoking, les œuvres du Dogme danois ressemblent à des exercices académiques. Il y a bien un semblant de structure dans ce joyeux bric-à-brac, puisque des portraits de chacun des membres du No Smoking ponctuent le film de loin en loin. Mais cet ordre est constamment miné par l'hétérogénéité des documents, le filmage agité, et le comportement erratique des personnages eux-mêmes, franchement incontrôlables.

 

Le génie de Kusturica réside donc dans sa capacité à organiser un tel désordre, en résistant à l'incohérence. Le credo du cinéaste, c'est l'anarchie raisonnée. Au fond du fond, Kustu retrouve ici, comme dans son précédent film de fiction, Chat noir, chat blanc, le secret perdu du grand cinéma burlesque, souvent imité (par Blake Edwards, entre mille autres), jamais égalé. C'est parfois limite potache, comme quand le groupe se met à jouer sur scène l'inénarrable intro de Smoke on the Water, affublé de perruques vintage à la Led Zep. The spirit of Spinal Tap... Mais il y a aussi des moments plus consistants humainement. Citons notamment la bagarre mi-chiqué mi-sérieuse entre Kusturica et son fiston costaud dans les coulisses d'une salle de spectacle après un concert. Total délire, donc, mais au bout du compte, ce film n'est-il pas la meilleure radiographie possible de l'esprit de folie qui souffle sur les Balkans depuis plus de dix ans, pour le meilleur, et souvent pour le pire ? Avec Super 8 Stories, Kusturica résume mieux que son compatriote Danis Tanovic dans son théâtral No Man's Land, l'irrésistible drôlerie de ce monde à la fois désespéré et débordant de vie.

Vincent Ostria, Les Inrocks

Projeté dans le cadre de

31 Octobre 2017
Séance unique de Super 8 stories