Nothingwood

De Sonia Kronlund
France, Allemagne - 2017 - vost - 85' - Couleurs - Numérique
Synopsis

Salim Shaheen, le personnage principal du documentaire «Nothingwood», est à la fois un prince de la série Z, un grand cinéaste afghan, dans un pays où la production cinématographique est plus que minime, et le réalisateur le plus prolifique au monde. Ce Ed Wood afghan a 110 films à son compteur. Dans les périodes fastes, il en tourne une dizaine par an. Les Américains ont Hollywood, les Indiens, Bollywood, et les Nigérians, Nollywood. Salim Shaheen est le roi de cette minuscule industrie qu'il a baptisée «Nothingwood». La Française Sonia Kronlund, productrice de l'émission «Les pieds sur terre» sur France Culture, saisit dans son film la personnalité de celui dont les « superproductions » coûtent 10 000 euros : le caméraman et monteur reçoit 100 dollars par mois, et certains acteurs paient pour y figurer, afin d'inscrire sur leur CV qu'ils ont été les héros d'un film.

Critique

Du cinéma en Afghanistan ? Quand Sonia Kronlund, la productrice de l'émission de documentaires Les pieds sur terre, sur France Culture, fait, par l'intermédiaire de l'écrivain et réalisateur franco-afghan Atiq Rahimi, la découverte de Salim Shaheen, l'un des très rares cinéastes en activité et de loin le plus prolifique, elle tombe des nues. Et décide de passer derrière la caméra pour le suivre. Sacré numéro. Cabotin, jovial, mythomane. Et analphabète, comme quatre-vingt pour cent de ses concitoyens. Une force de la nature, entre Depardieu et Bud Spencer, charisme, torgnoles et embonpoint inclus. Une vraie star en Afghanistan, où tout le monde connaît la centaine de séries Z qu'il a tournées — l'un des rares divertissements tolérés dans la République islamique. Des films de kung-fu, des polars un peu gore, avec des danses et des chansons comme à Bollywood, en beaucoup plus fauché. C'est aussi un cinéma guérilla, tourné avec les moyens du bord, dans des terrains vagues ou au beau milieu de la campagne, où Salim Shaheen débar­que avec sa clique en racontant, à chaque fois, que sa mère vient du village en question, pour se mettre les habitants dans la poche. Foulard rose sur la tête, fumant clope sur clope pour dissimuler la peur des bombes, la réalisatrice, fascinée par cet Ed Wood de Kaboul, l'accompagne partout, assiste à ses tournages farfelus. Elle décrypte avec malice, en voix off, une vérité que Salim Shaheen et ses films enrobent ou dissimulent. Notamment l'absence des femmes, remplacées par l'acteur Qurban Ali, marié et père de famille, qui se travestit pour faire illusion, comme dans le théâtre antique, dans un pays où l'homosexualité demeure un crime.

Jérémie Couston