Un sac de billes

De Christian Duguay
France - 2017 - vost - 110' - Couleurs - Numérique
Synopsis

Dans la France occupée, Maurice et Joseph, deux jeunes frères juifs livrés à eux-mêmes, font preuve d’une incroyable dose de malice, de courage et d’ingéniosité pour échapper à l’invasion ennemie et tenter de réunir leur famille à nouveau.

Critique

En moins d’un an, c’est le troisième film  qui nous propose de retracer le parcours d’enfants ayant échappé à la Shoah grâce à leur courage et leurs chanceuses rencontres. Après Le voyage de Fanny de Lola Doillon (suivant les traces de son père de façon plus contemporaine et plus émouvante) et Les enfants de la chance de Malik Chibane, que peut donc apporter Un Sac de billes ? (...)  Un Sac de billes  aborde les événements et le courage d’une façon tout aussi délicate que les autres et évite de tomber dans l’insupportable écueil du mélodrame. Il respecte en ce sens la tonalité de l’oeuvre de Joseph Joffo qui n’aurait jamais atterri entre les mains de tant d’écoliers si elle avait été trop sombre.

En effet, si l’on demande à Joseph Joffo, dont c’est l’histoire, si les choses se sont vraiment passées de la sorte, il répondra que c’était pire mais qu’il a volontairement édulcoré certains épisodes, tout comme Christian Duguay l’a fait dans son adaptation, pour montrer aux enfants qu’on peut survivre avec beaucoup de courage, pour laisser l’espérance à ceux qui lisent le livre ou regarderont le film. On retrouve cette intention résumée dans une phrase, prononcée par Christian Clavier (le Docteur Rosen) s’adressant au petit Joseph : « si tu continues à te battre, à tenir ta vie serrée dans ton poing, comme ça [comme la bille qu’il ne lâche pas], tu vas t’en sortir ». Dans cette optique, nous n’iront pas jusqu’à dire que le film est solaire, vu le contexte, mais que Christian Duguay, à travers la luminosité et la beauté de ses images, est parvenu à imprégner le récit de cet espoir.

Dans Un Sac de billes, contrairement aux deux films précités dans lesquels on perçoit la réalité à travers le prisme des enfants, on y voit plutôt de quelle façon la dure réalité fait irruption dans l’enfance et pousse Joseph et Maurice à grandir, d’un coup, sans préavis. À ce titre, la scène de la gifle est particulièrement parlante. À partir de là, Christian Duguay se focalise sur deux axes prioritaires : la solidarité intense de la fratrie, et, de façon inédite (même dans l’œuvre originale), l’aura de la figure paternelle. Avec la même intensité, il parvient à intégrer ces deux aspects en tant que sources de l’immense courage dont les enfants vont faire preuve : ils se soutiennent mutuellement, se nourrissent des idées de chacun pour trouver des solutions et, dans les moments difficiles, s’en remettent aux conseils prodigués par ce père si rassurant et si aimant à qui ils ont accepté de faire confiance. C’est parce qu’ils s’en remettent à la sagesse et à la clairvoyance du père que cette famille pourra survivre. Et ce qui est intéressant, c’est qu’ils apprennent que leur grand père lui-même avait déjà sauvé la vie de leur père en prenant la même décision, c’est à dire en le poussant à fuir, seul, la Russie et ses pogroms.

Ce père, c’est Patrick Bruel qui l’incarne avec une sincérité bouleversante. Face à tant d’authenticité, on ne peut s’empêcher de penser à l’identification qui a dû s’opérer en tant que père de deux garçons qui aurait pu être confronté à la même situation s’il était né quelques années auparavant… La place qu’il occupe physiquement et symboliquement est sans nul doute l’un des atouts majeurs de ce film mais il serait injuste de ne pas saluer le reste du casting absolument parfait : de Dorian Le Clech (Joseph) dont la beauté, la douceur et le naturel nous embarquent, à Batyste Fleurial (Maurice) en passant par Elsa Zybelrstein (la mère, un de ses plus beaux rôles), sans oublier un Kev Adams bluffant à contre-emploi.

Tout en restant dans un registre cinématographiquement classique, Un Sac de billes  version Christian Duguay est donc une adaptation réussie. À travers la suggestion plutôt que la violence, le réalisateur insuffle la peur inhérente à la situation aussi bien que l’amour qui lie la famille Joffo et leur sert de moteur pour surmonter la guerre et ses épreuves. Toutefois, c’est paradoxalement dans la liberté qu’il prend par rapport au roman de donner davantage de poids au père en tant que guide, à ce courage qui se transmet en héritage, que le film se distingue et ne se noie pas parmi tant d’autres.

Stéphanie Ayache