Le Violent

De Nicholas Ray
Etats-Unis - 1950 - vost - 94' - Noir et Blanc
Synopsis

Dixon Steele, un scénariste en proie à des crises de violence, est accusé du meurtre d'une serveuse. Laurel, une voisine amoureuse de Steele, le disculpe, mais leur amour ne peut échapper à la suspicion...

Critique

Les circonstances d’ln a Lonely Place sont les mêmes que celles de Knock on Any Door, et pourtant le film, aussi mystérieux que I’autre est explicite, est à l’opposé. II explore bien des facettes du titre, emprunté par Dorothy B. Hughes à une citation de J. M. Synge (c’est une des rares choses qui subsistent du roman). II ne se limite pas plus à la violence qu’à la description de Hollywood, qui reste une des plus belles du cinéma ou de la littérature. Ce film qui n’entre jamais sur un plateau de cinéma, mais dont le personnage central est un scénariste vieillissant, mis sur une liste noire tacite par les producteurs à cause de son alcoolisme et de son goût pour la bagarre, est plus près de Nathanael West ou de Scott Fitzgerald que du premier A Star Is Born (un des films préférés de Bogart). (...)

On voit dans In a Lonely Place la rapidité et la décision du geste, la sûreté du risque, du dérapage calculé, pris avec les deux acteurs. Bogart, physiquement présent — vieillissant, vu sans aura, en pyjama ou encore manches retroussées sur des avant-bras poilus — et non plus l’icône à la chemise inchangeable et immaculée des derniers films Warner (Key Largo); Grahame, multiples costumes voyants («pas de fanfreluches, s’il vous plaît», note le script), à la fois érotiques et très datés, conscience de son corps (scène du réveil où son épaule découverte la laisse deviner nue sous les draps), franchise de ses désirs, ambiguïté de son érotisme dans le même temps. Dire de ces deux acteurs qu’ils jouent leur propre rôle est un truisme. Mais cette récréation du milieu hollywoodien sur les plateaux Columbia (sans rien de la fascination pour les studios, présente jusque dans des films aussi grinçants que Sunset Boulevard (Boulevard du Crépuscule, 1950), produit une situation à la limite du psychodrame ; limite qui sera bientôt franchie. Bogart se voit donner les traits scandaleux qui étaient part de sa légende (légende qu’il encourageait lui-même, et qui divergeait d’une personnalité en vérité assez bourgeoise) avec une méchanceté envers le «système» qui devait le ravir; Grahame, montrée comme valeur d’échange (son ancien amant lui a offert une piscine «pour augmenter la valeur de son terrain»), passant de main en main et s’efforçant de prendre des décisions qui ne lui reviennent pas.(...) 

Autour d’un noyau de conventions, une construction formelle nette est développée, aussi bien de valeurs plastiques que de rythmes : dominantes nocturnes ou chien et loup. L’intimisme du récit n’exclut pas une conception visuelle forte, déterminée par les rares extérieurs qui ponctuent le film. Ray a fait pour ceux-ci le choix d’une architecture précise, le baroque californien, un style hispanisant dit «néo-Leo Carillo» : l’hôtel de ville et le bureau de poste de Beverly Hills, le croisement de Fountain et Harper. Ce sont des scènes en contrepoint, jamais frontales, où la dominante dramatique est développée dans l’espace et dans le temps. 

Une conception de la mise en scène que Ray a toujours affirmée, mais qu’il n’a jamais peut-être déployée avec autant de sûreté et de spontanéité qu’ici. Une conception aussi qui, à sortir de son cadre, dans d’autres circonstances, peut mener au chaos et à l’inachèvement.

Bernard Eisenschitz, « Roman américain, les vies de Nicholas Ray»

Projeté dans le cadre de

7 Septembre 2016
Le Violent