Le fils de Joseph

De Eugène Green
France, Belgique - 2016 - vost - 115' - Couleurs
Synopsis

Vincent, un adolescent qui n’a jamais connu son père, vit avec sa mère Marie dans un grand appartement parisien. Malgré ses demandes répétées, elle a toujours refusé de lui révéler le nom de son père biologique. Dans un tiroir fermé du bureau de sa mère, Vincent découvre un jour une lettre adressée à cet homme mystérieux qui n’a jamais voulu le rencontrer…

> Projection exceptionnelle le 31 août 2016 à 19h00, en présence d’Eugène Green

> Critique dans Le Courrier du 2 septembre

> Critique dans Ciné-feuilles de septembre 2016

Critique

Tout commence par un générique enivrant, à l’œil comme à l’oreille. Dans la ville (Paris), des voitures roulent et stationnent, des piétons se croisent, descendent, pressés ou plus languissants, les escaliers du métro. Un ballet fluide – magnifique ou vain, magnifique et vain – d’individus en mouvement. On ne voit pas leurs visages, l’humanité se concentrant, et de quelle sublime façon, dans la musique – baroque italienne – qui accompagne ces images quasi abstraites. Les voix et les instruments du Poème harmonique, l’ensemble dirigé par Vincent Dumestre, nous persuadent aussitôt que le style si personnel d’Eugène Green a «encore frappé»… 

L’écrivain, dramaturge et cinéaste signe un nouveau long métrage, comme toujours infiniment cultivé, insolent et spirituel (aux deux sens du terme), désarçonnant et magnétique. Un film qui offre mille lectures dont celle du retournement. De la vérité et de son contraire, de la paternité et de la filiation, du désir de tuer et de l’appel du Salut, de l’ironie mordante et de la naïveté qui n’a pas honte d’elle-même, du mensonge mortifère et de la sincérité libératrice, des sentiments pervertis et de l’amour authentique… La liste serait encore longue. 

(...) Fable ou parabole, divisée en chapitres qui renvoient explicitement aux Écritures (« Le veau d’or », « Le charpentier », « La fuite en Égypte » avec l’âne requis…), Le Fils de Joseph place les personnages et les spectateurs face au vertige de la révélation : cruelle quand il s’agit de l’identité du père, caressante quand, lors de leur première rencontre, Joseph et la mère de Vincent échangent leurs prénoms – « Moi, c’est Marie… » Cette révélation passe par l’image, avec ses plans fixes, véritables tableaux éclairés de tonalités vieil or, autour d’une table de café ou face à l’océan soyeux frangé d’écume, apaisant les esprits inquiets. Elle passe donc aussi par la musique si chère à Eugène Green et l’on retrouve, lors d’une séquence en forme d’offrande, le théorbe de Vincent Dumestre, les voix, parole et chant, de Louise Moaty et de Claire Lefilliâtre, disciples et complices du réalisateur. À la lueur des bougies (allusion baroque s’il en est), Vincent et Joseph entendent la plainte d’une mère. Et l’émotion, si soigneusement tenue à distance du jeu de ses acteurs, se répand soudain en flots ondoyants.

Se pliant avec un artifice tout naturel au langage châtié des dialogues d’Eugène Green, respectueux des liaisons et autres concordances des temps, les comédiens sont les ambassadeurs de ce cinéma singulier et prenant : Mathieu Amalric, odieux Pormenor qui, lui aussi, verra s’ouvrir peut-être un chemin de Damas, Natacha Régnier, mystérieuse Marie éclairée de l’intérieur, et Fabrizio Rongione, Joseph éveilleur et lui-même éveillé par sa rencontre avec Vincent. Père et fils, fils et père.

Emmanuelle Giuliani, La Croix