Much Loved

De Nabil Ayouch
France, Maroc - 2015 - vost - 104' - Couleurs
Synopsis

Ecumant les fêtes privées et les bars branchés de Marrakech, Noah, Randa, Soukaïna et Hlima s’offrent à ceux qui croisent leur chemin : riches Saoudiens, expatriés novices ou maris en manque de tendresse... Sulfureux et humaniste, dense et profond, Nabil Ayouch nous offre un hymne aux femmes, à leur force et à leurs sacrifices.

Critique

Elles sont quatre princesses à vendre, dans les nuits de Marrakech. Noha, Randa, Soukaina, Hlima : de belles tornades brunes, tourbillons de strass, de jurons et d'énergie farouche. Quatre putains inséparables, seules contre tous, en butte aux honnêtes gens, aux bigots, à la famille qui prend l'argent « sale » des passes en se pinçant le nez. Sans compter les flics corrompus, et bien sûr les clients, tartuffes, prédateurs et frustrés imprévisibles... Une vie de paria, heurtée, marginale : c'est l'universelle « complainte des filles de joie », comme disait Brassens. Sauf que cette chronique électrisante s'enracine au coeur du monde arabe, dans une société qui réprime la pulsion, condamne le désir. Les prostituées, ces fiancées clandestines qui « se marient vingt fois par jour », doivent, ici plus qu'ailleurs, éponger les manques et payer le prix fort du mépris et de l'hypocrisie.

Ce clivage, Much Loved le montre sans le démontrer jamais. Il suffit d'un plan de rue derrière une vitre de voiture, ou d'un regard qui se détourne, pour évoquer un irrémédiable isolement. Il suffit de voir exploser la rage d'un riche Saoudien, confronté, malgré lui, à son homosexualité, pour révéler des gouffres de déni. Le réalisateur marocain Nabil Ayouch scrute son pays, ses violences et ses inégalités, comme il l'a toujours fait, de Mektoub aux Chevaux de Dieu : avec une acuité quasi documentaire. Il nous immerge dans le quotidien tragi-cocasse de ses héroïnes, interprétées par un inoubliable et volcanique quatuor de comédiennes. On leur colle au corps, à table, au bar ou au lit, dans une promiscuité crue, frontale. Les insultes, le sexe, les humiliations, les virées folles et les moments de fatigue ou de tendresse : on partage tout, y compris leur formidable solidarité. Ni victimes, ni salopes : une drôle de fratrie d'amazones.

Présenté en mai dernier à Cannes, à la Quinzaine des réalisateurs, le film a aussitôt embrasé le Maroc, avant même de pouvoir y être diffusé. Il a valu au cinéaste la plus violente polémique de sa carrière, et une censure pour « outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine ». Nabil Ayouch comme son actrice principale ont même reçu des menaces de mort. Leur crime ? Avoir osé donner chair à un tabou.

Cécile Mury, Télérama

Projeté dans le cadre de

Du 29 Avril 2019 au 5 Mai 2019
Edition 2019