Away from All Suns

De Isabella Willinger
Allemagne, Russie - 2013 - vost - 74' - Couleurs
Synopsis

Moscou abrite de fascinants trésors architecturaux, qui paraissent encore aujourd'hui étonnamment modernes, malgré leur état de délabrement. Ce sont les vestiges de projets expérimentaux échafaudés dans les années 1920 par les artistes visionnaires du mouvement constructiviste. Pour ces utopistes, les immeubles d’habitation, usines ou bâtiments publics devaient incarner la révolution et la modernité, tout en participant à un projet de société centré sur un mode de vie collectif. Nous suivons trois habitants de la capitale russe, qui luttent pour préserver cet héritage menacé par des projets immobiliers : la maison commune Narkomfin, dessinée par Ginzburg et Milinis, l’imprimerie Ogoniok, dernier bâtiment encore debout de Lazar Lissitzky, ainsi qu’une résidence étudiante conçue par Ivan Nikolaev. Ce documentaire instaure un dialogue passionnant entre passé et avenir et évoque les espoirs futuristes du début de l’ère soviétique, peu à peu confrontés à une réalité sociale complexe – jusqu’au rejet par Staline du mouvement constructiviste.

Critique

Futurs passés, futurs présents

 Soit trois lieux et trois guides à travers l’histoire d’un temps tourné vers l’avenir. Le musicien Grudovich vit dans le Narkomfin conçu par Ginzburg et Milinis. L’architecte Kulish est responsable de la rénovation de la résidence étudiante de l’Institut Textile construite par Nikolaev. Depuis trois générations, la famille d’Elena Olshanskaya occupe un appartement du Zhurgaz, édifice imaginé par Lissitzky, Barsh et Zunblat. Ces trois figures incarnent la vie actuelle de ces «futurs-passés» (nous empruntons l’expression à l’historien Reinhart Koselleck) et autant de façons d’éviter leur disparition. Olshanskaya, présidente de l’association des habitants du Zhurgaz, veille à la «conservation» du «gratte-ciel horizontal» de Lissitzky. Kulish, partisan de la «rénovation», travaille à l’installation d’un ascenseur. Le jeune Grudovich, le plus intrigant d’entre eux, vit dans un deux-pièces du Narkomfin, siège d’un mouvement artistique alliant musique, performance et discours politique. De par son allure et ses propos, il pourrait figurer la «nostalgie» des utopies constructivistes. Mais le film le présente plutôt comme celui qui a pris le relais des futuristes. «Nous vivons dans le futur», dit ce défenseur de l’utopie au présent. Grâce à lui, à son manifeste contre le monde devenu carré et à ses performances musicales dans la baignoire ou sous la neige, le docu- mentaire d’Isa Willinger renoue avec l’imaginaire propre à l’essai au cinéma.

Lúcia Monteiro