Le Challat de Tunis

De Kaouther Ben Hania
Tunisie, France, Canada, Emirats Arabes Unis - 2014 - vost - 90' - Couleurs
Synopsis

En 2003 dans les rues de Tunis, un homme en scooter armé d'un couteau balafrait les fesses des jeunes Tunisiennes qu'il croisait dans la rue, dès lors qu'il les trouvait un peu trop courtement vêtues. Dix ans plus tard, armée d'une toute petite équipe de tournage, Kaouther Ben Hania tente de percer le mystère et les motivations du psychopathe, de le rencontrer dans la prison où il est censé être incarcéré, d'interroger les hommes du quartier d'où il vient. La réalisatrice décide de faire passer un casting pour trouver celui qui pourra interpréter le Challat dans son film...

> Article paru dans La Tribune de Genève le 9 septembre 2015

Critique

En 2003, sous Ben Ali, un homme à scooter sème la panique à Tunis. On l'appelle le « Challat » : le balafreur, en arabe. Sa spécialité ? Entailler les fesses des femmes, court vêtues de préférence. Un malade misogyne ? Un agent du pouvoir ? Ou bien une pure légende ­urbaine ? Dix ans après, dans la Tunisie postrévolutionnaire, la réalisatrice Kaouther Ben Hania enquête. Mais en brouillant les pistes : dans ce « documenteur », de fausses pièces à conviction côtoient de vrais témoins. Fiction et réalité s'entremêlent pour mieux évoquer la complexité de la condition féminine dans les pays arabes. Le tout avec une ironie mordante.

Tour à tour consterné et incrédule, on suit la progression heurtée de la ­cinéaste dans un Tunis mystérieux où les hommes semblent plus que jamais crispés sur leur virilité. On croise ainsi un vrai-faux challat, repris de justice au credo lapidaire (« Toutes des salopes sauf ma mère »), et l'inventeur d'un jeu vidéo au but douteux — balafrer le plus de femmes possible, à l'exception de celles, respectables, qui portent le voile. Mais aussi une femme d'affaires responsable de la commercialisation, sous le manteau, d'un appareil révolutionnaire : ce « virginomètre » est censé renseigner son propriétaire soupçonneux sur le degré de « pureté » de sa copine, recousue, « de première main » ou « d'occasion ». Alors que l'islam extrémiste semble avoir déclaré la guerre aux femmes, le spectateur a bien du mal à démêler le vrai du faux. Dans un pays du Maghreb longtemps à l'avant-garde de l'émancipation féminine, un tel doute pousse à réfléchir... Et à s'inquiéter.

Mathilde Blottière, Télérama