Le milieu du monde

De Alain Tanner
Suisse, France - 1974 - vost - 115' - Couleurs
Synopsis

Un jeune et brilliant ingénieur, Paul, en lice pour un poste éléctoral trouve l'amour avec une femme venue d'Italie. Cependant, il est marié, et comme cette histoire vient à se savoir, il perd l'élection. De plus, sa maîtresse l'abandonne car elle pense n'être juste qu'un corps pour ses fantasmes...

Critique

Comme Le retour d’Afrique, Le Milieu du monde est un film sur le couple et l’état des sentiments au début des années 1970 ; c’est aussi l’œuvre la plus théorique de son auteur, celle qui expose le plus explicitement ses partis pris de cinéma. Alors que le film précédent intégrait ensemble le fond – la crise du sujet contemporain – et la forme – une distanciation par les mots cités par les personnages et les mouvements de caméra les accompagnant –, Le Milieu du Monde dissocie fortement le récit d’une histoire d’amour difficile et une forme stricte, parfois rigide, qui casse constamment le naturalisme apparent de l’intrigue et les effets de réel. L’ouverture annonce en voix off : « Ce film a été tourné en 1974 en un temps de normalisation », puis « Ce film raconte l’histoire d’une serveuse de café italienne et d’un ingénieur du milieu du monde pendant une période de cent douze jours. » Les cartons indiquant les dates d’une chronologie à trous, les ponctuations musicales de Patrick Moraz, les plans de paysages dans le désordre des saisons et sans respecter le temps de l’intrigue signent un didactisme esthétique peu courant dans une œuvre qui sait faire disparaître ses intentions exigeantes dans la forme du film. Mais ce brechtisme prononcé s’explique aussi par la dimension politique du film ; jamais Tanner n’a peut-être autant désigné l’ennemi que dans ce film-ci : politiciens de province véreux et phallocrates, peuple des bistrots à l’humour médiocre. À cette glu du social qui s’empare de tout, le cinéaste oppose un salut par le cinéma et son langage : mettre à distance le réel représenté et le spectateur, c’est permettre à celui-ci une conscience, ce que la critique de l’époque appelait : « le travail du spectateur ».

Frédéric Bas, Alain Tanner - Ciné-Mélanges